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Malgré les nombreuses mises en garde de Cindy, Océlus insista pour aller marcher avec elle dans le parc où ils avaient déjà passé un moment magique ensemble. La jeune femme eut beau lui répéter que depuis le Ravissement, cet endroit était moins que sûr, le Témoin ne voulut rien entendre. Découragée, Cindy céda devant son obstination. Il se rendrait bien compte lui-même que le monde n’était plus ce qu’il était. Si ses nouvelles techniques d’art martial ne suffisaient pas à les protéger des bandits, sans doute Océlus pourrait-il les ramener magiquement à l’appartement.
Le terrain boisé était aussi beau en hiver qu’en cette fin de printemps. Il n’y avait plus de neige et les bourgeons avaient éclaté. Cindy avait trouvé au Témoin un long manteau et des souliers, car sa tunique aurait trop attiré l’attention. Il s’était laissé habiller sans se plaindre, dévorant sa belle du regard.
Cindy glissa sa main dans la sienne et l’entraîna sur toutes les allées, sans vraiment regarder où elle allait.
— Où t’enverront-ils en mission ? voulut soudainement savoir Océlus.
— J’aimerais bien suivre la trace d’un prophète américain, mais il faudrait pour cela que la division internationale me le permette ou que je démissionne.
— Tu es toujours sous les ordres de Cédric ?
— Pas vraiment, puisque je fais maintenant partie des agents fantômes.
Océlus haussa les sourcils avec surprise.
— Mais il faut être mort pour être un fantôme ! protesta-t-il.
— Je ne suis pas réellement morte, mais je figure sur la liste des victimes ayant péri lors de la destruction de la base de Montréal. Je sais que c’est difficile à comprendre, mais l’Agence fait souvent disparaître certains de ses agents de la circulation pour pouvoir les utiliser ailleurs dans le monde. Donc, si l’ennemi fait des recherches pour les identifier, il ne trouvera que leurs certificats de décès.
— Cela signifie-t-il que tu pourrais maintenant m’accompagner à Jérusalem ?
— En principe, mais pas tout de suite. J’ai encore quelques trucs à régler avant de partir.
Le sourire radieux de son compagnon réchauffa le cœur de Cindy. De son côté, pour lui plaire, Océlus fit disparaître le soleil derrière d’épais nuages et alluma des milliers de petites étoiles dans les branches des arbres qui bordaient l’allée.
— C’est magnifique ! s’exclama Cindy.
— Ce sera notre signe secret à nous, pour toujours.
— Secret, oui, mais certainement pas discret.
Elle se faufila dans les bras du Témoin et le serra de toutes ses forces.
— Est-ce que tu m’aimes, Océlus ?
— Plus que tout au monde…
— Il nous reste si peu de temps à passer ensemble.
— Tu oublies que je suis immortel.
— Que t’arrivera-t-il une fois que Satan vous aura fait exécuter Yannick et toi sur la place publique ? As-tu le pouvoir de recoller ta propre tête ?
— Tout dépendra de la volonté du Père. Rien ne lui est impossible. Sinon, je t’attendrai dans l’autre monde aussi longtemps qu’il le faudra.
« Si le Prince des Ténèbres gouverne la Terre dans quelques années, il ne restera pas longtemps seul là-haut », songea Cindy. Yannick lui avait raconté que Satan exigerait que tous ses sujets portent la marque de la Bête et que ceux qui la refuseraient seraient immédiatement mis à mort. Jamais Cindy ne renierait sa foi…
Tandis que le couple demeurait enlacé au milieu du sentier, une dizaine de voyous surgirent de la forêt, armés de couteaux, et les encerclèrent.
— Donnez-nous votre argent ! cria l’un d’eux.
Toutes les petites lumières s’éteignirent dans les arbres.
— Nous n’en avons pas, répondit Cindy en se dégageant de l’étreinte d’Océlus.
— Ne nous obligez pas à vous tuer !
Cindy ne s’énervait pas, car elle croyait que son compagnon les débarrasserait de ces prédateurs en utilisant sa magie. Elle ignorait évidemment la leçon que Reiyel lui avait servie peu de temps auparavant. Devant les yeux de Yahuda voltigeaient des anges guerriers qui se servaient d’êtres humains comme boucliers contre les attaques de démons aux ailes déchiquetées. Le Père lui avait pardonné ses derniers accès de violence, mais ce dernier ne serait pas aussi clément si son serviteur devait prendre d’autres vies. Alors, au lieu de protéger sa belle, l’apôtre demeurait interdit et presque soumis.
L’un des mécréants fonça sur eux. Mettant en pratique ce qu’elle avait appris au dojo, Cindy exécuta une rapide pirouette sur elle-même et, de son pied, frappa violemment le poignet de l’agresseur. La lame vola dans les airs. Sans attendre la prochaine attaque, l’agente se mit en position de combat. Croyant que leur nombre leur permettrait de subjuguer les tourtereaux, deux des truands s’élancèrent. Ils furent reçus par une pluie de coups de pied et de poing qui les envoya rapidement au tapis. Pendant que Cindy sauvait sa vie, Océlus se tenait là, immobile comme une statue ! « Il n’est pas étonnant que l’Antéchrist n’en fera qu’une bouchée », grommela intérieurement la jeune femme.
— Que se passe-t-il ? tonna alors une voix d’homme.
Les voyous ramassèrent ceux qui étaient tombés et s’enfuirent entre les arbres. Cindy ne se relaxa que lorsqu’ils furent hors de vue. Elle se tourna alors vers son sauveteur providentiel, qui arrivait en courant, et reconnut Vincent McLeod en sarrau blanc !
— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? s’exclama-t-elle, surprise. Tu ne quittes presque jamais la base !
— Il fallait que je te parle et je ne voulais pas le faire sur ta montre.
— Merci d’avoir fait fuir ces chenapans.
— C’est peut-être mon apparence qui leur a fait peur.
Cindy se tourna vers le Témoin, toujours en transe. Peut-être était-il en panne de magie. L’agente lui saisit les bras et le secoua doucement.
— Tout va bien, maintenant, le rassura-t-elle.
— Je n’ai plus le droit de tuer, murmura-t-il.
— Parce que toi, un disciple de Jésus, tu l’as déjà eu ? s’étonna Vincent.
L’informaticien n’avait pas vraiment le temps de réfléchir à cette aberration.
— J’ai fait une importante découverte, dit-il plutôt, et je ne peux pas en parler à tout le monde.
— Tu ne peux pas le faire ici non plus, l’avertit Cindy. Il se cache un peu trop de chacals dans ces bois. Nous devons trouver un endroit tranquille et désert.
— À Toronto ? se découragea Vincent.
Océlus les transporta aussitôt au sommet d’une des tours du château de la Casa Loma interdites au public. Cindy se pencha dans l’escalier en colimaçon et ne vit personne dans les parages.
— Y a-t-il des micros, ici ? voulut-elle savoir.
Vincent ne transportait pas sur lui l’équipement requis pour le vérifier, alors il actionna, au cas où, le mécanisme de brouillage dissimulé dans son épingle à cravate.
— Qu’as-tu trouvé ? le pressa Cindy.
— La Bible renferme un autre texte, beaucoup plus facile à comprendre, d’ailleurs. Ce dernier raconte le passé, le présent et le futur du monde, comme si tous ces événements s’étaient déjà produits. Et pourtant, il a été écrit il y a au moins trois mille ans.
— Tu as trouvé autre chose que de simples mots clés ? se réjouit la jeune femme.
— Tu parles ! C’est tout à fait un autre livre. Il raconte l’histoire de la création du monde et de la vie de Jésus sans la moindre allégorie.
La mention du nom du Maître sembla ramener Océlus à la vie. Depuis qu’il les avait emmenés dans ce lieu désert, il était demeuré songeur et silencieux.
— Qu’as-tu découvert sur notre avenir ? demanda Cindy à Vincent.
— Il est loin d’être rose.
— Très drôle…
— C’est seulement une expression, Cindy.
— Continue.
— J’ai lu ce nouveau texte jusqu’au bout avant de commencer à vraiment m’énerver.
— Nous allons tous mourir, c’est cela ?
— Certains d’entre nous survivront, mais ce qui est certain, c’est que nous aurons tous à affronter de graves dangers d’ici la fin.
— Si tu tenais tant à m’en parler en privé, c’est parce que tu voulais me dire que je serai parmi les victimes de l’Antéchrist ?
— Non. C’est Océane… Et malheureusement, l’Antéchrist n’est pas son seul ennemi. Le texte parle de reptiliens qui désirent la paix sur cette planète au point de l’empêcher de tuer Ben-Adnah.
— Probablement d’autres Anantas. Il faut avertir Océane de mettre fin à sa mission.
— Comment ? soupira Vincent. Elle ne porte plus de montre et il ne lui est pas permis d’entrer en communication avec nous ou avec la base de Jérusalem.
— Océlus pourrait aller la prévenir.
— Et si c’était le destin d’Océane de donner sa vie pour sauver la nôtre ? protesta le Témoin.
— Yannick et toi m’avez déjà ramené deux fois de la mort sans que cela empêche quoi que ce soit, lui rappela Vincent. Si Dieu n’avait pas été d’accord, il vous aurait déjà manifesté son mécontentement, non ?
— J’achèverai de convaincre Océlus, trancha Cindy. Dis-moi plutôt ce qui arrivera à chacun d’entre nous.
Le visage de l’informaticien se mit à pâlir.
— Quelqu’un approche, les informa Océlus.
— Ami ou ennemi ? s’enquit Cindy.
— Jetez vos armes et descendez l’escalier très lentement ! ordonna une voix d’homme.
Alerté par l’ordinateur que des intrus se baladaient dans le château sous lequel avait été construite la base de l’ANGE, Aaron Fletcher n’avait pas hésité un instant. Il s’était élancé à la surface avec les membres de son équipe.
Au pied de l’escalier qui menait à l’une des tours, arme au poing, le chef de la sécurité attendit quelques secondes. Puisque rien ne se produisait, il fit signe à ses hommes de monter. Ces derniers gravirent les marches aussi silencieusement que des chats. Fletcher demeura immobile, osant à peine respirer. Toute sa vie, il avait travaillé à Toronto, mais depuis le Ravissement, il ne reconnaissait plus sa ville. Les criminels volaient et tuaient d’autres criminels. Quant aux petits escrocs, ils se contentaient de piller les maisons riches et les commerces, jusqu’à ce que de plus gros poissons finissent par les dévorer.
Fletcher était l’un des plus dévoués employés de l’ANGE. Jamais il ne laisserait la racaille s’approcher de la base qu’il protégeait. Il lui incombait d’assurer la sécurité de Cédric Orléans et de ses agents afin qu’ils puissent faire leur propre travail.
— Il n’y a personne, monsieur, lui annonça l’un de ses hommes du haut de la tour.
— Y a-t-il une autre issue ?
— Aucune. Nous avons utilisé le seul escalier qui mène ici.
Intrigué, Fletcher s’empressa de rejoindre son équipe sur la plate-forme. Il y avait bien quelques fenêtres, par lesquelles les malfaiteurs auraient pu s’enfuir, mais elles étaient toutes grillagées et ne s’ouvraient pas. Le chef de la sécurité remarqua alors que les regards de ses hommes étaient braqués sur lui. Il vit tout de suite dans leurs yeux qu’ils redoutaient un nouveau Ravissement.
— Je vais ordonner une vérification complète des systèmes de détection de l’ordinateur, lâcha-t-il pour les rassurer.
Sans attendre leurs commentaires, il dévala l’escalier pour retourner dans la base.